jeudi 6 juillet 2017

LA VIE DU BON CÔTÉ, MALGRÉ TOUT sur le quotidien des personnes en situation de handicap

Acte 1, scène 1 : le handicap

Article du BIMSA – posté le 14 juin 2017 – de Eve Duaussoy

Carton plein à Péronne, pour la pièce sur le handicap concoctée par la compagnie Entrées de jeu.

À la demande de la MSA Picardie, la compagnie Entrées de jeu a créé un débat théâtral sur le quotidien des personnes en situation de handicap. « La vie du bon côté, malgré tout » cherche à dénouer des situations en cultivant l’optimisme. Retour sur la première, qui s’est déroulée le 5 mai à Péronne, dans la Somme.

« On nous évite. » « On ne nous invite pas. » « On nous fait comprendre qu’on est payé à ne rien faire. » Les plaintes retentissent dans l’espace Mac Orlan de Péronne. Ce 5 mai, la première du débat théâtral sur le handicap, « La vie du bon côté, malgré tout », ne laisse pas indifférent.

Les comédiens enchaînent pendant une trentaine de minutes des situations tristement banales qui font le quotidien des personnes en situation de handicap. Les saynètes sont ensuite jouées une seconde fois mais les spectateurs peuvent à tout moment interrompre le jeu pour proposer une alternative à la scène.

Entrée dans le réel

Pour mettre au point ce spectacle, la compagnie Entrées de jeu s’est imprégnée du réel. En janvier, Bernard Grosjean, directeur de la troupe, a recueilli le témoignage d’une dizaine de personnes en situation de handicap en Picardie. Ils ont fait émerger les difficultés récurrentes liées à leur situation comme affronter le regard des autres, la solitude, les problèmes d’accessibilité, la lourdeur des démarches administratives, etc.

© Eve Dusaussoy

En l’espace d’une heure, les comédiens Florian, Macha, David et Maria se saisissent d’un maximum de sujets avec un crédo : dédramatiser les situations du réel en les mettant à distance, expérimenter des manières d’y faire face et débloquer la parole du public sur des sujets difficiles.

Grand silence

La pièce s’ouvre sur le fossé qui sépare les personnes en situation de handicap des valides. « On nous regarde comme des pestiférés », « des monstres », « on nous dévisage », balancent les comédiens au public péronnais. « Tiens, par exemple, raconte David, on ne peut pas aller dans un bistro prendre un café tranquillement. Quand on franchit la porte, tout à coup, c’est le grand silence. » Un silence qui en dit long.

Macha raconte que sa copine Angélique ne sort plus. Elle refuse d’affronter le regard des autres sur elle. Comme beaucoup de personne en situation de handicap, la jeune femme tombe fatalement dans l’isolement social : « Le monde se rétrécit autour de moi… »

Plusieurs spectateurs se jettent à l’eau pour proposer leur version des saynètes. À l’image de Mathieu, qui prend la peau d’une personne handicapée au restaurant. À la table voisine, un enfant le dévisage tout en questionnant sa mère : « pourquoi il est comme ça le monsieur ? » La mère, gênée, lui ordonne de se taire illico. Mathieu choisit alors d’engager lui-même la conversation avec le petit curieux, qui repart plus satisfait que choqué d’avoir pu échanger avec « le monsieur tout seul».

Une autre scène souligne le malaise qui peut s’installer en milieu professionnel lorsqu’un collègue en situation de handicap est embauché. « Je n’ose pas lui parler, j’ai trop peur de faire une gaffe », avoue Florian. L’occasion pour Mathieu de confier à la salle son truc pour détendre l’atmosphère : l’humour. « Ça permet d’expliquer le handicap avec le sourire et surtout de dédramatiser. »

© Eve Dusaussoy

Malaise

Autre point noir mis en évidence par la pièce : les problèmes d’accessibilité. Si la loi « handicap » de 2005 a permis quelques avancées ‒ les établissements recevant du public et les transports collectifs doivent être accessibles à tous ‒ la situation est loin d’être parfaite. Dans les établissements qui se sont dotés d’un ascenseur flambant neuf, « le fauteuil rentre parfaitement, certes, ironise Macha, mais pas de place pour l’accompagnateur ! » Et dans les bus, « où loge un fauteuil quand il y a déjà deux poussettes dans la zone réservée ? »

Les saynètes réveillent des souvenirs chez beaucoup de spectateurs comme Stéphanie, qui n’a pas osé s’exposer sur scène mais qui réagit : « toutes ces situations, moi et des personnes de mon entourage les avons vécues. Par exemple, la difficulté pour trouver un logement : quand on dit aux propriétaires qu’on est en CAT, ils refusent automatiquement notre dossier. »

Pour Guy Chevalier, élu à la MSA, cette pièce met le doigt sur une réalité : le malaise des gens face au handicap. « La pièce montre  ̶  en un peu exagéré bien sûr, mais c’est le principe du théâtre  ̶  qu’il suffit de rester naturel et de considérer l’autre comme son égal, sans condescendance. Un sourire, une parole ou une poignée de main, ça demande peu d’efforts mais ça change tout. Nous devons adopter une attitude normale et positive pour pouvoir échanger avec des personnes pleines de richesses. Chacune a un parcours différents. C’est toujours riche en enseignements. »

« Action ! »

La MSA de Picardie organise des actions sur le handicap depuis deux ans : voyage en Belgique, sortie aux jardins botaniques et paysagers de Valloires ou à des spectacles… « Là, on avait envie d’aller un peu plus loin et de les impliquer eux-mêmes, déclare Justie Caron, travailleuse sociale à la MSA de Picardie.

© Eve Dusaussoy

« Ce qui est intéressant, c’est que ce spectacle est ouvert à tout public. Il s’adresse aussi aux personnes valides. On leur donne des clefs pour adopter le bon comportement et porter un regard juste sur les personnes en situation de handicap », précise son collègue, Patrick Coevoet. Le service d’action sociale de la MSA de Picardie voit cette action comme le point de départ d’une dynamique sur le territoire.

L’objectif est en effet de mobiliser les partenaires du secteur et de questionner le public sur de possibles actions futures. Depuis janvier, les conseillers sociaux travaillent main dans la main avec la compagnie Entrées de jeu et une quinzaine de partenaires – centres sociaux, centres communaux d’action sociale (CCAS), association de parents d’enfants inadaptés (APEI), association départementale pour la sauvegarde de l’enfant à l’adulte (Adsea), conseil départemental, Esat, foyers de vie, institut médicaux-éducatif (IME), services d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés, élus de la MSA… – pour mettre au point ce débat théâtral.

Cette première à Péronne est une réussite. Une centaine de personne se sont déplacées pour l’occasion et les participants ne se font pas prier pour prendre part au débat sur la scène. Un succès de bon augure pour la deuxième représentation programmée en novembre dans le Saint-Quentinois.

Eve Dusaussoy